Arnaud Dubien : « En Russie, on recherche des talents »

Arnaud Dubien : « En Russie, on recherche des talents »

L’Institut Choiseul est un think tank parisien spécialisé dans les questions économiques. Depuis 10 ans, il publie un classement annuel des 100 jeunes (de moins de 40 ans) leaders économiques français. Ce projet est unique en France. Il y a quelques années, l’Institut a décidé d’en élargir le spectre en proposant un classement pour l’Afrique. Les 100 jeunes leaders économiques du continent sont venus en France rencontrer leurs homologues et ont été reçus par le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre. Il y a deux ans, l’Institut Choiseul a décidé d’établir la liste des 100 espoirs de l’économie russe. Là encore, l’idée est de permettre à ces jeunes leaders de rencontrer leurs homologues français. Il directeur de l’Observatoire, centre d’analyse rattaché à la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, s’est proposé d’aider l’Institut à établir le classement. Arnaud Dubien estime que ce projet est particulièrement bienvenu dans le cadre du Dialogue franco-russe de Trianon, dont l’objectif est de permettre aux sociétés française et russe de s’ouvrir l’une à l’autre, notamment à travers la tenue de différents événements tout au long de l’année.

MJ : Êtes-vous en contact avec le Conseil
de coordination de Trianon ?
Oui, nous connaissons depuis longtemps ses deux co-présidents, le recteur du MGIMO Anatoli Torkounov et l’ex-ambassadeur de France en Russie Pierre Morel. Nous leur avons fait part de notre projet, qu’ils ont
accueilli avec beaucoup d’enthousiasme. Nous avons pour ainsi dire reçu un aval institutionnel de leur part avec la promesse de participer aux manifestations organisées dans le cadre de ce travail. Ils sont aujourd’hui
impliqués dans leur préparation.

MJ : Quels événements sont au programme ?
Au printemps 2019, nous voulons faire venir à Moscou 30 à 40– car bien évidemment tous ne pourront pas venir– des 100 leaders
français pour qu’ils rencontrent les nominés du Choiseul 100 Russie et commencent, à dialoguer. Il est évident qu’après cette première rencontre, un dialogue permanent va s’instaurer, mais dans un cadre informel.
Nous organiserons des tables rondes sur différents thèmes : l’intelligence artificielle, le secteur IT, l’internet des objets, la technologie blockchain, etc. Ensuite, à l’automne, les 100 leaders économiques russes se rendront à
Paris. Cette rencontre des membres de la liste Choiseul 100 Russie revêt une importance capitale pour les autorités françaises. Je tiens à rappeler qu’en 2013, à l’époque où il était secrétaire général adjoint du cabinet du président Hollande, Emmanuel Macron s’est vu attribuer la première place du classement établi par l’Institut Choiseul. Il est important de comprendre que ce projet s’inscrit sur la durée. Nous voulons chaque année organiser
deux événements : l’un en Russie, l’autre en France.

MJ : Comment aves-vous sélectionné les profils ?
Nous avons travaillé par secteur, par entreprise, en suivant l’actualité de très près, au niveau régional notamment, en étudiant le contenu des publications des rédacteurs les plus influents sur les réseaux sociaux. Nous avons utilisé encore d’autres sources, nous avons tenu compte de ce qu’il
se disait lors de différentes conférences, de la première liste « Les leaders russes ». Il serait impossible d’énumérer toutes les ressources auxquelles nous avons eu recours… Voilà comment nous avons identifié ces Russes
ayant déjà accompli de grandes choses, mais surtout, qui ont un sérieux potentiel. D’un côté, vous trouvez dans cette liste des directeurs généraux, des présidents et membres de conseils de direction d’entreprises. De l’autre, des patrons de startups qui ont fondé des entreprises promises à un bel avenir. Bref, des gens qui œuvrent déjà au développement de l’économie russe et en changeront la structure dans les 10 prochaines années.


MJ : Est-ce que la liste comprend des anciens du MGIMO ?
Oui. Mais pour le moment il est trop tôt pour en dévoiler l’identité.


МJ : Le classement français est-il déjà accessible ? Est-ce que vous pouvez
nous en parler ? Oui, il est accessible. Vous y trouvez des personnes du secteur IT, du secteur bancaire, de différentes branches de l’industrie. À la tête du classement 2018, on retrouve le président du groupe Yves Rocher, Bris Rocher, petit-fils du fondateur de l’entreprise. Cette filiation renvoie aux réalités du monde économique français : en France, les entreprises familiales jouent un rôle important. Bris a 39 ans et il s’intéresse
beaucoup à la Russie, pays qu’il connaît et comprend. Il est conscient du fait qu’ici, il y a de nombreux talents, et c’est pourquoi il s’intéresse à un tel dialogue.

MJ : Avez-vous adapté les critères du classement aux spécificités du pays ?
Il y a des spécificités russes, c’est certain. Nous voulions éviter de faire figurer au classement beaucoup de représentants des secteurs bancaire, pétrolier et gazier. Aussi voulions-nous que la géographie du classement soit diversifiée, et il faut dire que tout ne s’est pas passé exactement comme nous le souhaitions : les 2/3 des entreprises figurant dans le classement
sont basées à Moscou. Autre problème : la parité hommes-femmes. Malheureusement, on ne compte qu’un quart de femmes dans ce classement. Cela renvoie toutefois à la réalité de la Russie contemporaine, où beaucoup plus d’hommes que de femmes occupent des postes à responsabilités.

Le principal critère que nous avons considéré est évidemment la contribution de ces jeunes entrepreneurs à la nouvelle économie russe
mais encore– et c’est le plus important– leur potentiel de croissance, car dans 20-25 ans, ce sont eux qui détermineront l’économie du pays.
Nous avons examiné tous les profils avec beaucoup d’attention, mais il se peut que des gens compétents, promis à un brillant avenir, ne figurent pas dans le classement, et ceci, pour la simple et bonne raison qua la Russie
regorge de talents. D’ailleurs, je ne parlerais pas de « classement » , mais plutôt de « réserve de talents » .

MJ : Quels objectifs poursuivez-vous avec ce classement ?
Des objectifs à la fois humbles et ambitieux. Tout d’abord, nous souhaitons qu’il y ait des plateformes de dialogues pour les représentants du monde des affaires, pour qu’ensuite ces canaux de communication servent de base d’interaction, que les relations entre les pays soient tendues ou pas. Nous
avons bien conscience de la complexité du contexte international et du fait que beaucoup, en France, s’opposent à la coopération avec la Russie.
Nous souhaitons mettre en place des canaux de communication directe. Si les jeunes leaders français et russes se rencontrent, s’ils apprennent à se connaître, alors ils pourront monter des projets communs et cela accélèrera
le processus de découverte réciproque de nos sociétés civiles. Ainsi, lorsqu’ils joueront un rôle important dans chacun de nos pays, les
relations bilatérales seront facilitées.

MJ : De façon générale, comment est ce que vous qualifieriez les relations économiques actuelles entre la France et la Russie ?
Elles sont bonnes, malgré les sanctions. Je dis cela en me basant sur plusieurs critères, notamment le volume des échanges. Si on
prend le volume du commerce extérieur, la France est derrière l’Allemagne et l’Italie, et ce principalement parce que ces pays achètent plus de gaz russe. Par ailleurs, l’Allemagne et l’Italie exportent plus que la France vers
la Russie. Mais, pour la Russie, un autre indicateur est important: le niveau des investissements directs. D’après les chiffres de la Banque centrale de Russie, la France occupait la première place entre 2014 et 2016. Elle demeure à ce jour le premier employeur étranger en Russie. Aucune entreprise française n’a quitté le pays ces dernières années. Les entreprises se sont adaptées au régime des sanctions, aux nouvelles priorités de l’économie russe, parmi lesquelles la localisation des activités dans le pays, l’exportation de produits fabriqués en Russie vers des pays tiers et le développement de chaînes de production à l’échelle régionale. Même dans les conditions de tensions actuelles, de nouveaux acteurs arrivent en
Russie. Pour ne prendre qu’un exemple, l’entreprise alsacienne KUHN, productrice de machines agricoles, vient d’annoncer qu’elle construirait une usine à Voronej. Il y a indiscutablement un désir sincère des deux côtés d’entretenir de bonnes relations. Le dialogue est permanent et peu de pays
occidentaux peuvent se targuer d’entretenir une telle relation avec la Russie. Si nous parvenons à mettre en place cette plateforme de dialogue qu’est Choiseul 100 Russie telle que nous l’avons imaginée, si les responsables politiques s’y intéressent, car à bien des égards la politique est liée à l’économie, et s’ils s’en servent, alors notre objectif aura été atteint et nous en serons heureux. En fait, nous fournissons à nos gouvernements un format pour que nos sociétés civiles respectives interagissent, et nous espérons que cette structure apportera les résultats attendus.


MJ : Cela a marché avec l’Afrique ?
Oui et ce succès était un peu inattendu pour l’Institut. L’Afrique est un continent regroupant schématiquement des pays anglophones, francophones, arabophones et lusophones, et il se trouve que les
Africains, d’un pays à l’autre, se connaissent peu. Grâce à cette rencontre, des hommes d’affaires tanzaniens ont pu discuter avec leurs collègues marocains ou sud-africains. Ils ne soupçonnaient pas la multitude des possibilités de coopération existantes. Dans le cas de la Russie, cette question ne se pose pas car il s’agit d’un seul et même pays. Néanmoins, le pays est si étendu qu’il me semble que les jeunes leaders originaires de ses différentes régions apprécieront aussi de mieux se connaître les uns les autres.